Des voies tombent ; des légendes surgissent

Par Florent WOLFF

Le moins que l'on puisse dire est que l'année 2001 restera sûrement dans les annales comme celle qui aura vu l'explosion d'un jeune grimpeur, quasi inconnu un an plus tôt, Dave Graham. Quelques-uns se souviennent de lui par la voie qu'il avait ouverte à Rumney (dans le nord est américain), un 9a au caractère très bloc : The Fly. Mais, les Européens, les Français tout particulièrement, restaient encore dubitatifs sur la valeur et la réelle difficulté de ces voies du nouveau continent ouvertes par des jeunes inconnus (entendez, qui ne font pas de la compétition), persuadés d'avoir encore l'exclusivité des itinéraires extrêmes et des falaisistes de talent.

Cette hégémonie chauvine se trouva remuée par l'arrivée de grimpeurs comme Tommy Caldwell ou Chris Sharma dont les performances en Espagne (8b+ flash pour Caldwell avec Hydrophobia) et en France (l'enchaînement rapide de la première partie de Biographie et ses essais concluants dans l'intégrale pour Sharma) avaient inquiété quelques-unes de nos stars nationales de la varappe. Depuis l'ascension d'Action Direct par Iker Pou, grimpeur espagnol pour le moins discret (et qui l'est resté depuis, en tout cas en France où la presse spécialisée ne lui a rarement consacré plus d'un quart de bas de page), les performances de jeunes grimpeurs espagnols (Pablo Barbero, Ramon Julia qui s'offrent des 8c+ avec une rapidité étonnante sans oublier les " anciens " comme Iker Pou, Dani Andrada ou Josune Bereciartu) et américains se multiplient.

Cet hiver, la scène bleausarde a été ébranlée par un groupe de grimpeurs américains dont le jeune Dave Graham semble être le fer de lance. Il a ainsi répété en une saison (dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle fut franchement pluvieuse) la quasi-totalité des blocs extrêmes de la forêt ouverts en dix ans. Tout en se payant le luxe d'en décôter les plus célèbres (Fatman), d'en flasher d'autres tout aussi mythiques (C'était demain, Miséricorde, .), voir même de s'offrir le première d'un vieux projet très en vu du Cuvier-Rempart (désormais " bon " 8b). Combien de grimpeurs étrangers découvrant Bleau dont les blocs sont réputés spécifiques et ingrats (surtout les premières fois) furent capables de flasher des 8a et de grimper les projets des locaux avant eux ? Ainsi, le séjour de Dave Graham à Bleau restera longtemps gravé dans les esprits, tout comme celui qu'il effectue en ce moment dans l'autre antre de la force : le Frankenjura.

Après s'être attaqué au fief des Godoffe, Frigault et autre Avarre, c'est à celui de Güllich qu'il se prend. On connaît du Franken sa réputation (sûrement exagérée) d'exigence. Pendant de nombreuses années, le seul grimpeur étranger à avoir fait un 8c dans cette région était le très polyvalent Jean-Minh Trinh-Thieu (Burn for U). Puis Garth Miller (il aurait fait un 8b à vue avec Pharao) et surtout Iker Pou surent montrer une rare réussite dans les voies de la Frankische. Alors même que de nombreux ténors (Fred Rouhling, Klem Loskot et plus récemment Axel Franco) repartaient bredouilles de la région. On en arrivait à s'y rendre dans la plus grande discrétion (une grande partie des forts grimpeurs français avaient à une époque fait le déplacement, sans résultat concluant). Ou bien, on invoquait un peu vite des conditions météos désastreuses (là encore, c'est un peu une légende à laquelle il faut mettre un terme : on trouve d'avantage de résurgences dans les colonnettes du sud de la France que dans les trous du Franken). Bref, jusqu'à l'année dernière, la performance dans le Franken était le terrain quasi exclusif des locaux (à part donc Jean-Minh Trinh-Thieu, Luc Thibal, Jerry Moffat ou, plus récemment, Iker Pou, Pierre Bollinger ou Sébastien Hémery). Depuis dix jours, c'est l'explosion dans le Franken avec le retour d'Iker Pou (dont le palmarès en voies au-dessus de 8c dépasse maintenant celui des locaux, dont le talent n'est pourtant plus à démontrer -Markus Bock, Markus Windisch et Werner Thon, entre autres-) et surtout de celui qu'il est légitime maintenant d'appeler un phénomène : Dave Graham, toujours lui.

Son parcours est sans faute, il s'attaque un par un à toutes les références de la haute difficulté en Europe avec hier une apothéose : l'ascension express d'Action Direct, une voie dont l'extrême difficulté n'est plus à prouver. Les deux précédents répétiteurs s'étaient véritablement investis (jamais moins d'un an, un entraînement spécifique, un régime rigoureux afin de ne pas se blesser) dans cette voie qui a même représenté un aboutissement pour le talentueux grimpeur de Nüremberg Alexandre Adler qui, depuis cette apogée, ne donne plus dans l'extrême. D'ailleurs, on remarque qu'en France, les ascensionnistes de cette voie n'ont eu le droit qu'à une gloire toute relative, alors qu'un 8b+ à vue remplit de nombreuses pages dans les magazines (je parle bien sûr du battage médiatique autour de la performance de Yuji Hirayama dans Mortal Kombat, une voie qui est, aujourd'hui, en passe de descendre à 8b). Dave Graham, dont on a dorénavant tous entendu parler mais dont on ne connaît rien, adopte le même profil d'humilité de ces prédécesseurs. Il semblerait que gravir Action Direct s'installe bien plus dans une démarche éminemment personnelle d'accomplissement de soi que dans une recherche effrénée d'un triomphe médiatique.

À milles lieux donc de l'arrogance d'un compétiteurs français (François Petit pour ne pas le citer) qui, il y a peu encore, affirmer dans l'Equipe Magazine " vouloir dominer le monde de l'escalade ". Le moins que l'on puisse dire est que c'est très mal parti . La petite sphère du haut niveau en escalade (qui s'agrandit conséquemment ces temps-ci) semble de plus en plus se déchirer entre celle de la renommée et celle de l'efficacité. Inutile de rappeler que le charisme se fonde bien plus sur la recherche noble d'un résultat que dans celle de la publicité à tout prix.

Qui est Graham ? Pourquoi est-il aussi fort ? Des questions auxquelles il ne vaut peut-être mieux pas répondre afin que le rêve perdure.

Florent Wolff - U-Climb.com


réalisations de Dave Graham en 30 jours dans le Frankenjura (d'après Roberto Fioraventi, ProjectPof.com)

Action Direct 9a (20 essais en 6 jours). Après s'être offert le mythe, le même jour, il vient à bout de Downset (8c) au deuxième essai. Dans des conditions qui n'étaient pas exceptionnelles, Dave continue avec Showdown en deux jours (8c réputé dur), Raubritter (8c en deux jours), Sundance Kid (8c en trois jours) et enfin Powerplay (8c en deux jours). Il ne s'arrête pas là puisqu'il s'offre le même jour le magnifique Raise the Roof et le légendaire Stone Love (deux 10+, 8b+). Puis, en une journée il s'offre le non moins mythique Ghetto Blaster (10/10+, 8b+) ainsi que Linie 1, un 8b de Milan Sykora que Dave estime plutôt 8b+ (pour mémoire, le parisien Christian Roumégoux avait fait voie l'an dernier).

La liste ne s'arrête pas là car il continue avec des 8b classiques comme Delicate News, Deadline, Nightmare et Subway ainsi que des 8a+ comme Plastikfieber, Nice Boys et Bastard (généralement en deux essais) ou des 8a comme Hurrikan, Eletrische Sturm (tous deux au 1er essai).

Le à vue n'est pas en reste puisque Dave vient à bout de Center Court (8a+ ou 8b selon l'itinéraire), Blowjob (10-, 8a) et Hitch Hike The Plane (9+, 7c+). Pour nous rappeller qu'il pratique aussi le bloc, Dave réalise Zerberus (un 8b+ de Werner Thon justerépété il y a peu par Markus Bock), Maharasha (un 8b qu'avait ouvert Markus Bock en 1998 et qui était resté sans répétition jusqu'à la venue d'Iker Pou et de Dave Graham) et Ramahade (8a).

Ouf !!! Voilà un trip dont on se souviendra longtemps


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