Compétition et voies dures en falaise :

une antinomie ?

 

Le sport a souvent eu des préoccupations d’ordre patriotique : récemment la France s’inquiétait de l’absence de médailles rapportées en athlétisme aux J.O. de Sydney. Si l’escalade ne peut couper à ses interrogations nationales et typiquement fédérales, on peut également s’étonner du peu de voies dures qu’accomplissent nos forts grimpeurs français. Ainsi, en lisant la presse française d’escalade (hélas, désormais réduite à un seul magazine véritablement spécialisé —Grimper-), il est flagrant que les performances étrangères prédominent et que les Français semblent visiblement un peu à la traîne.

Tentons de trouver quelque origine à cet amer constat. Pendant de nombreuses années, les compétitions furent une affaire de sudistes et étaient dominées par des français méridionaux (Aix-en-provence était " la capitale de la grimpe ", comme le titrait un numéro de Vertical). Or, on constate depuis quelques années l’arrivée sur la scène compétitive de grimpeurs et grimpeuses venus de régions peu réputées pour l’escalade. Ainsi, la famille Sarkany, venue du plat pays, nous étonne de leurs performances dans de nombreuses épreuves internationales (le palmarès de Muriel et de nombreux jeunes compétiteurs belges est éloquent).

On voit également l’éclosion de grimpeurs forts venus du nord de la France (le normand David Caude, désormais exilé, et surtout le jeune champion de France et d’Europe Alexandre Chabot, qui vit à Reims, ville d’avantage connue pour sa joyeuse mousse que pour son rocher). On peut légitimement s’interroger sur ce déplacement géographique de l’origine de forts compétiteurs. On pourrait d’abord l’attribuer à la construction massive de S.A.E. dans des contrées qui n’avaient, jusque-là, aucune tradition de grimpe. Les grimpeurs viennent donc, logiquement, de régions beaucoup plus diverses alors que, pendant de nombreuses années, l’escalade française était tiraillée par la dichotomie Parisiens/ Sudistes (cf. les polémiques célèbres entre les deux chefs respectifs Tribout et Edlinger). Le réseau, assurément, s’élargit et s’élargira encore (on grimpera dans de plus en plus de régions, voire même de pays).

On pourrait rétorquer que des murs, même beaux et hauts, ne suffisent pas pour former notre élite simiesque et que seules les subtilités du rocher peuvent inculquer ce fameux bagage technique inhérent à la formation du bon grimpeur. De deux choses l’une, soit ces compétiteurs ne touchant que peu la falaise savent pratiquer le pan sans tomber dans l’écueil de la bourrinerie et parviennent à être techniques sans être falaisistes, soit ils sont hyper doués et ont " ça " dans la peau, soit la compétition est plus une affaire de physique que de technique. Cela n’est pas nouveau, depuis bien des années, on reproche aux fédérations de commander des murs de plus en plus déversants faisant bien plus appel aux biceps qu’à l’intuition. Pour nuancer cette remarque, il faut rappeler que la majorité des compet’ se déroulent à vue, ce qui ne colle pas à l’image de " racle pieds " que l’on voudrait un peu vite coller à ces compétiteurs. D’ailleurs, ceux qui dominent les épreuves sont bien souvent des techniciens, comme l’ont prouvé dans le passé le cas Legrand (il semblerait que ses placements démoniaques rattrapaient ses prétendues lacunes physiques) ou maintenant l’exemple Chabot qui, en toute logique, à 18 ans, ne peut être au firmament de sa forme. Il faut néanmoins rappeler une évidence : si l’escalade est le meilleur entraînement à l’escalade, la S.A.E. demeure le meilleur entraînement à la S.A.E..

Et si les Français se vantent souvent de leurs résultats en coupe du monde, ils ne peuvent que se monter plus discrets quant aux perf’ sur rocher, comme si la pratique de l’un excluait forcément l’autre. Pour exemple, François Legrand " marche " moins bien en compet’, alors que justement il explose tout en rocher (cf. ses 8c+/9a…). Ainsi, Alex Chabot, champion d’Europe et second à la coupe du monde affiche un modeste niveau de 8b après travail alors que son concurrent principal, Yuji Hirayama fait des voies plus dures à vue (" gros " 8b+), bizarrerie s’il en est. Dans tous les cas, il ne s’agit pas de dire qu’Alex n’est pas fort, bien au contraire, mais ses résultats en compet’ semblent de fait le détourner du rocher, preuve une fois de plus que marier ces deux pratiques semble voué à l’échec. Sommes-nous dans une impasse ? Quand est-ce que les Français tenteront de rattraper leur retard en matière de falaise (nos seules grosses croix se font quasiment toutes au Mount Charleston…) et également de bloc (c’est Fred Nicole qui ouvre les blocs les plus durs, même à Bleau, pourtant royaume du local dans toute sa splendeur). L’entraînement en vue des coupes du monde est-il si spécifique qu’il en éloigne nécessairement du rocher ?

L’exemple du Japonais précité semble nous indiquer le contraire. Ou bien nombre de compétiteurs français désavouent visiblement la falaise, sauf quand il s’agit de s’y faire prendre en photo, car le rocher est toujours le meilleur outil qui soit pour se forger une bonne image auprès des médias. Cela fait donc un bail que les Français ne sont plus à la pointe de l’ouverture en matière de voies extrêmes, à part des 9b isolés et jamais répétés, ou au contraire, avec une flopée de 8c+ qui comptent autant d’ascensions que de prises taillées. Cela ravit nombre de locaux qui peuvent ainsi vite décrocher un sponsor ainsi que pas mal d’étrangers ravis de faire des croix rapidement ( pour exemple, je citerai le cas des frères Bindhammer qui mettent plus de temps à faire un 8b+ dans leur Frankenjura qu’un 8c+ dans les Gorges du Loup). Tout cela pour dire que si notre pays a apporté des voies de référence dans les années 80 (1er 8a+ avec le Bidule, 1er 8a bloc avec C’était demain, 1er 8b avec les Mains Sales et le Fluide, …), Ce n’est guère plus le cas dans les années 90, où d’après la liste des 8c+/9a de 1995 (quasiment tous sont encore des références actuelles), sur 21 voies, seules 7 sont françaises -2 combinaisons (Super Plafond et Connexion), 2 désormais décotées (Bronx et Via Grassiani à 8c et 8b+), 2 prétendues " bouses " (Festin de Pierre et Crazy) et la dernière à l’histoire quelque peu louche (Hugh) -.

Il y a donc deux choses à souhaiter :

  1. Que de nombreuses personnes viennent tenter nos rares voies dures non répétées (Eaux Claires, Savoie, …) et en confirmer, ou non, la cotation.
  2. Qu’à nouveau, les Français proposent des voies dures crédibles, qui ne soient pas de simples parcours taillés calqués sur les voies de compétition ou des combinaisons, mais bien des lignes majeures, de véritables nouvelles références pour l’avenir de la difficulté en escalade.

Florent Wolff - U-Climb.com

 

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