Le grand Céüse

Télécharger la version imprimable au format PDF (9 pages)

Rédaction : Florent Wolff

Prise de note : Pierre Bollinger, Arno Köppel, Florent Wolff.

Ce récit est le fruit d'un carnet de bord que nous tenions quotidiennement à jour. Quiconque connaît Céüse, sait que le paresseux de base ne peut se permettre de se ruiner les jambes et les chances de faire des croix dans une marche des plus harassantes.

Pensant nous être suffisamment entraînés dans ce qui représente l'extrême de la marche d'approche dans notre région (je parle bien sûr des 15 minutes d'accès à la grotte du Brötsch), le désenchantement fut des plus absolus dès la première montée : d'évidence, le team n'était pas au niveau. Après deux heures d'une marche qui se fait normalement en une, après s'être fait dépassé par tout ce que le village compte de vieillards, notre état faisait peine à voir : mollets durs comme du rocher, bouffées de sueurs refoulant les plus grands saunas Bulgares au rang de simples humectages, bref une fatigue digne de celle qu'avait dû ressentir Bonatti au sortir de ses huit jours en solitaire aux Drus. Le peu de lucidité qui nous restait à l'issue de tant d'effort consenti nous permit de lâcher entre deux respirations marathoniennes : " Plus jamais ça ". La nécessité catégorique de ne pas faire la marche valant mille fois plus que le confort spartiate du camping, le team n'hésita pas longtemps et opta pour la solution, certes un peu plus " roots ", mais qui épargnerait notre palpitant : le bivouac à la falaise. Se poser au pied de la paroi nous apparut plus pertinent que de poser nos pieds toutes les matinées.

Le choix de l'emplacement du bivouac se révéla être assez facile, car de choix, il n'y en avait en fait pas, Pierre ne concevant pas de dormir ailleurs que sous la fameuse Biographie, la voie qui attise depuis longtemps ses grands rêves excités . Au crépuscule, chacun, sauf Pierre (Wetta de son noble nom, dit le " flag-man ", soit le grimpeur aux milles drapeaux .) qui se réserve pour le lendemain, a le temps de faire une rapide reconnaissance dans son projet. La partie va s'annoncer délicate pour tout le monde, car le team prend à peu près autant de buts que le Brésil lors d'une certaine finale. Laurent, le bleausard propret échoue dans sa tentative à vue du Bleausard Pressé (0-1) Florent se révèle être plus à l'aise en pincettes sur les canettes de Kro qu'en pinces sur les colos de la Cro .nique de la haine ordinaire (0-2), alors que le rêve de Pierrot tourne au cauchemar tant il hallucine sur la difficulté de Biographie (0-3). Bref, si les projets ne manquent pas d'ambitions, le séjour, lui, ne manquera pas de lactique.

Lundi

C'est à la Cascade (secteur ombragé le matin, se situant à gauche de la falaise qui fait quand même plus de trois kilomètres de long, autant dire que la marche n'est tout de même pas donnée) que ça se passe. Le team, ou plutôt la troupe, car nos escalades s'apparenteront vite à des mauvais numéros de cirque, aura du mal à dévoiler toute sa mesure dans ce secteur où le daubage s'annonce aussi rapide que les voies lentes. Lent, car la Cascade (qui se dénomme ainsi plus pour symboliser la cascade d'acide en ébullition dans nos pauvres bras malmenés que pour la misérable résurgence ressortant d'un buisson de mousses suspendues) se révèle être l'apanage de la continuité et de son cortège d' " interminables séances de délayages sur des manettes ergonomiques ". Autant dire que l'assureur, encore plus que le grimpeur, doit s'armer de patience ici-bas. Pour vous donner une idée, imaginez-vous en train d'observer l'ascension du Nose par une cordée de limaces. Qui dit continuité dit récupération active. Pierre Wetta applique cet adage à la lettre en se lançant effectivement dans une active séance de récupération des dégaines car il parvient, à grand renfort de flags, de cris, et de déséquilibres saugrenus, à peine à la moitié de la voie. C'est donc le début d'une longue errance pour Pierre : le Vagabond d'Occident s'annoncera être un grand vagabondage . Florent essaie une voie nouvellement équipée " Le corps étranger " : c'est sûrement de lui qu'il s'agit tant ce voyage à vue lui semble incongru et exotique. Laurent, surpris en plein squattage des baignoires du Vagabond, ne cesse de clamer la facilité des mouvements conjuguée à l'extrême de l'enchaînement. Quant à Arno, il tente de passer sous la barre fatidique des cinq repos dans Mirage, une voie qui semble de mieux en mieux porter son nom quant à son prétendant acharné et agacé .

Mardi

Après la franche désillusion de la veille, c'est la grosse déprime qui, déjà, pointe son nez. Le clown Wetta persévère dans l'humour avec son sketch favori, celui du Vagabond Inaccessible. Florent, fort d'un échec systématique dans toutes ses tentatives à vue, se paie l'euphorie du premier essai dans Bleu Blanc Gyrophare (la nouvelle voisine du Vagabond), cela, au prix de bras si enflés qu'on se demande si un essaim de guêpes ne l'a pas poursuivi pendant toute l'ascension. Pierre arrache le flash dans toutes ces voies, et persiste sa provocation en nous assurant que le daubage à froid demeure le meilleur échauffement. Arno enchaîne " sans dauber " (ce dont toute la falaise doute encore) son projet, Makach Walou, un itinéraire qui incarne, au moins autant que les maquisards, la définition de la résistance. Florent, endolori par le succès de son compère, est surpris endormi en position fotale au pied de Biographie. Sans doute songe t-il aux dévers du Brötsch . Heureusement le soir, deux charmantes Munichoises, Sonya et Alexa, sauront réconforter la troupe : on frôle le repos du guerrier.

Mercredi

C'est justement de repos qu'il s'agit cette journée. Le team, aux jambes lourdes et courbaturés, fait péniblement la marche de descente au prix de plusieurs pauses. La séance de lavage a lieu à la fontaine du Col. Pierre s'y révèle aussi peu pudique qu'un sergent serbo-croate. Alors que Flagman, pourtant loin de souffrir des semblables disgrâces de son collègue éléphant, préfère se montrer aux vaches plutôt qu'à ses comparses. L'épisode suivant est camping où nous voulons visiter nos amis allemands et belges. À peine un pas dans l'enceinte que le terrible Bonnardel, le proprio du camping et accessoirement, frère du maire du village (Sigoyer), nous tombe dessus tel l'éclair, et ce, à grand renfort de jurons éructés entre deux baves de Pastis. Nous ne pouvons même plus parler à nos amis les campeurs : où va le monde ? ? Florent se fait passer pour un éminent juriste et se fait traiter de " petit con " alors que Pierre, les sourcils froncés de colère, hésite à en venir aux mains. Quant à Arno, il se cache lamentablement derrière ses lunettes noires, il faut dire qu'il s'était déjà viré deux jours plus tôt, et surtout, il avait la tête ailleurs. Sitôt parti, il se précipite voir son projet vieux de quatre ans : la boulangère de Sigoyer qui, doucement, approche de la majorité. Bégayant, en sueur, assurément plus tremblant que dans Makach Walou, il parvient à peine à commander un croissant. Il est décidément temps de retrouver la civilisation tant l'aphasie nous guette. À Gap, comme on aurait pu s'en douter, c'est de Pastis qu'il s'agit. Le team se déplace de bars en comptoirs, de terrasses ensoleillés en arrières salles enfumées. C'est donc passablement anisés que nous nous rendons à un pont s'élevant à une quinzaine de mètres au-dessus du lac de Serre-Ponçon (la plus grande réserve artificielle d'eau en Europe). Nous retrouvons Bernd, Mira, Wastle et Waiti, nos quatre amis du Frankenjura qui avaient quelque chose à nous montrer : le grand Swing. Ils avaient accroché une corde d'un côté du pont, et le but était de sauter de l'autre côté afin de se prendre un gros balancier tout en raclant la flotte verdâtre miroitant sous nos pieds. Ce jeu spectaculaire se déroule sous les yeux ébahis des agents de la DDE (visiblement moins zélés que notre cher Wicking) et du garde champêtre. Arno nous blase en ouvrant le bal, et Pierre renchérit en se payant le luxe de sauter sans corde. Florent et Laurent font les " kleine sboubes " et refusent de se prêter au jeu prétextant que la remontée sur corde allait les dauber pour le lendemain. Le jeune Waiti et la belle Mira se montrent également téméraires puisqu'ils s'élancent dans l'eau dans le plus simple appareil (entendez sans baudrier ...). Quant à Flagman, il se révèle bien plus courageux à sauter au-dessus du lac qu'à sauter au-dessus des points du Vagabond. Puis un orage des plus puissants surprend tout le team. Les évènements se précipitent : Pierre apprend que son délicieux projet, la belle Orléanaise n'a en fait que treize ans et demi ! ! ! Grand désespoir pour lui qui ne va désormais jurer que par les femmes mûres. Il nous faudra en tout cas quelques bières pour nous remettre de ces grandes émotions (pour une fois le mot n'est pas galvaudé). La longue marche du retour à la falaise s'effectue donc de nuit, et sera parsemée de pauses vin rouge en compagnie, comme par enchantements, de nos deux déesses munichoises redescendant de la falaise.

Jeudi

Le réveil est plus insolite car ce sont des brebis qui nous extirpent du lit, ou plutôt du de la mousse (autant celle qui a empli nos gosiers la veille que celle sur laquelle nous dormons). La matinée est marquée par un " pétage de câble " du bon Arno, n'en pouvant plus de lâcher les bacs du repos au cinquantième mouvement de Mirage. Est-ce la haute altitude ou le haut degrés lactique qui a eu raison des dernières parcelles de son cortex ? Nul ne le saura, mais il jette l'éponge, le Mirage en restera un. Après cet abandon, c' est toujours le Vagabond et les montées de l'acrobate Wetta qui emplit nos cours de joie et de rire. Même le Zapata des meilleures années ne faisait pas mieux ! Une rumeur voudrait qu'Arlette Grüss et Pinder Jean-Richard se disputent ce talent plein d'avenir qui, nonobstant ces gausseries, a atteint un spit de plus dans la voie. Florent ne fait guère mieux dans son projet, l'Ami de tout le monde, un itinéraire qui s'apparente vite à un chemin de croix tant les crux sont retors et nombreux. La légende, car il en court beaucoup sur les hauteurs de Céüse, veut que Chris Shrama ait flashé ce 8b pieds nus . Pourquoi pas avec une brebis sur le dos pendant qu'on y est ! Pierre est lui surpris en tain de taper des essais dans des mouvements intrinsèques dans un pas en 7c bloc à trente-cinq mètres du sol ! ! Oui, oui, c'est bien de l'intégrale de Biographie qu'il s'agit, encore une qui risque de ne pas se voir déflorer souvent. Comble du blasage : on assiste à un essai du local Sylvain Millet dans la voie qui marche littéralement les mouvements. Pierre décide donc de s 'atteler à la Chronique de la Haine Ordinaire, la couenne de Céüse de quarante-cinq mouvements, une paille par rapport à Biographie. L'émulation sera saine et vive car Nico Favresse, sympathique rochassier belge d'avantage rompu aux teignes de Freyr qu'aux bi-doigts inversés, tape lui aussi des essais dans la voie. Enfin, Laurent se lance avec une étonnante réussite dans une nouvelle activité : le flash dans Berlin avec chute dans les derniers mouvements. Étonnement, lui qui proclame avoir du fond ne parviendra jamais aussi haut dans ses essais après travail !

Vendredi

Cette matinée, digne de celle où Armstrong posa ses guiboles sur la Lune, est à marquer d'une pierre blanche. En effet, l'astronaute Wetta, propulsé en orbite depuis plusieurs jours dans les astres de la galaxie Vagabond, vient enfin au bout de ce gigantesque trou noir, il clippe le relais final, non sans quelques repos en apesanteur sur la corde. Quant à son comparse animal, le jeune Loup, rappelé à la raison par la dureté de l'itinéraire choisi, change radicalement sa trajectoire et se rabat sur l'interminable planète de la Couleur du Vent. Ce voyage orbital, pourtant sans difficulté intrinsèque majeure, s'annonce des plus longs ; les adieux à la terre ferme n'en sont que plus douloureux. Le capitaine Bollinge n'a lui pas encore ce problème car son périple astral dans la voie lactique de la Chronique s'arrête quelques secondes seulement après le décollage, sur un furieux trou noir en inversé. Le copilote Köppel est lui confronté à un obstacle quasi infranchissable, in ne semble pas encore assez mûr pour surmonter le gigantissime mur de Berlin, où un ressaut final le fait toujours rechuter dans les ténèbres. Même le cosmonaute Semon, scientifique de renom et spécialiste du genre, ne pourra résoudre l'équation de la résistance et de la fusion aussi immédiate qu'imprévisible du lactique dans les membres supérieurs de nos agents. Le soir à la station, l'ambiance est des plus moroses, et n'est pas sans rappeler les derniers jours de Mir. Redescendre au vaisseau pour une journée de repos et se gaver de Pastis lyophilisé à Gap Canaveral semble impératif.

Samedi

Le team ankylosé par la dure journée de la veille et surtout par une nuit glaciale se précipite dans la vallée ensoleillée. La marche est désormais avalée, serait-on en train de surcompenser de tous nos efforts si durement consentis ? Dans tous les cas, c'est de bon augure pour la réussite des projets, à condition bien sûr, de petits adjuvants au Pastis. Pierre, qui nous avait habitué à plus de calme, est le premier à déjanter dans la voiture : il interpelle tous les passants (vous vous doutez en fait bien que ce sont des passantes .) et semble décidé à ne plus remonter s'isoler dans les cimes : le besoin de civilisation devient criant. Une glace plus tard et c'est l 'apaisement qui reprend le dessus. Florent, étonnement silencieux, tombe dans une mélomanie léthargique ; il s'enferme dans la voiture, pourtant bouillonnante, pour écouter un opéra entier de Verdi. Enivré par le Rigoletto, subjugué par la beauté de Gilda (et de Sonya .), on ne peut le ramener à la raison sinon par une personne qui lui-même semble en manquer. L'homme de la situation, locataire à l'honorable foyer des Guérins, est bien connu du groupe : cela fait trois ans qu'il nous demande une cigarette roulée. Après avoir bu un litre de notre Coca cul sec, " Roulé Man " extirpe Florent de sa torpeur d'opérette au moyen d'un rôt virevoltant et de sa phrase fétiche " J'suis bien làààà ". Puis après nous avoir assené d'une leçon de Tam-Tam, le team est à nouveau motivé pour le retour à la falaise. Sauf Flagman qui, ayant largement rempli son objectif (aller en haut du Vagabond), file aux Gorges du Verdon en compagnie du pire félon, Fred, autrement dit le seul Bas-Rhinois à honorer Gueberschwihr et les falaises d'Annecy. Le soir, place aux incantations accompagnées d'encens à notre Bouddha Sharma, au pied de Biographie forcément. Si nos prières restent encore vaines, le sacrifice d'une brebis sera envisagé.

Dimanche

La matinée s'avère Baudelairienne puisque Laurent parcourt en pleine synesthésie les Correspondances Imaginaires. Notons qu'en poète distingué et en Bleausard effréné, cette réussite se fait à froid, reléguant les théories sur l'échauffement aux rangs des chimères les plus forcenées. Le reste de l'équipe patiente en pestant jusqu'à ce que l'ombre voile la paroi. Pierre est le premier à taper un essai dans la Chronique. Merdre !. Le pied ubuesquement posé zippe du gros plat au dernier mouvement de la section dur. Serait-ce le fourbe Wetta qui l'aurait discrètement contaminé du ravageur virus du zippage. Dans tous les cas, la crise approche et c'est à coup d'une sévère remotivation de notre part que Pierre accepte de ne pas déséquiper. Au prochain essai, la pression est telle que le verre du baromètre se brise. Mais les astres seront avec lui : le dieu Sharma l'a enfin écouté. Il ingurgite les quarante-cinq mouvement de la Chronique, au prix tout de même, d'un petit combat aux doux bruits orgastiques sous la chaîne. Puen el fuego, Pierro ! ! Le gladiateur Favresse, enivré par la réussite de son comparse, dévore de rage la Chronique qui, décidément, se mue en classique de Céüse. Laurent, encore en proie au romantisme décadent, ne pourra s'énerver suffisamment pour venir à bout de Berlin. Il se jure de revenir car l'heure est maintenant au départ vers des terres ibériques. Florent et Arno gagnent respectivement un mouvement dans leurs projets respectifs : l'efficacité de la journée de repos est prouvée ! Il en faudra encore six à Arno et vingt-sept à Florent qui s'empresse de téléphoner à son université pour repousser la date de la rentrée. La surcompensation n'a dorénavant plus de secrets pour eux. Enfin, la journée se termine en frayeur avec la chute d'une quinzaine de mètres de Sylvain dans Biographie qui, avouons-le, avait sauté les trois derniers points et est tombé en cherchant le bac final. Son futur sera sous le signe de la suture, et l'austère Céüse se teinte, au crépuscule, d'un furieux voile de sang .

Lundi

Pierre, visiblement apaisé depuis son ascension de la veille, se réveille en sueur. Les brebis l'ont une fois de plus extirpé de la torpeur de ses rêves : cette nuit, enfermé dans un ascenseur des plus lubriques, il était la proie d'une déesse colmarienne dont nous tairons le nom. Plus tard, franchement déluré par les rêves de Pierre, Arno se lance à la découverte des dalles du Capeps. Alors que Florent, ivre ou fou -nul ne le saura jamais-, entreprend un lavage intégral sous la cascade, sous les yeux engorgés de sueur des varappeurs du secteur. Ce doping matinal s'avère d'une efficacité redoutable puisque les deux intéressés dévorent leurs projets comme Obélix le sanglier. En bon gourmand, Florent se permet même d'avaler les soixante mouvements de la Couleur en diminuant de moitié son temps de parcours. Les championnats d'athlétisme d'Edmonton n'étaient pas loin ce jour-là. Arno, lui, s'exclame une fois de plus ne pas dauber sur les réglettes sommitales, ce qui, évidemment, provoque un terrible fou rire en bas. Quant à Pierre, après avoir enchaîné les deux tiers de la première moitié de Biographie (si, si, ça commence à être pas mal), il tombe dans une fébrilité névrotique hors du commun : c'est le grand craquage. La prochaine étape est assurément les chambres aux murs matelassés du Foyer des Guérins.

Mardi

On imagine que cette excitation de la veille n'est pas restée inconséquente sur les rêves de Pierre. Cette nuit anormalement agitée fut sous le signe du règne mécanique : une voiture remorquée, féroces suées à la Brando en bleu de travail, pneus et crics à tout va, loin des criques sensuelles des autres nuits, un rêve soudainement avorté par le concert matinal des criquets. Après l'éreintante (eh oui, la fatigue supplante la surcompensation) marche jusqu'à la Cascade, Florent et Pierre se lancent à leur tour dans les dalles du Capeps, non sans joie. Puis, le plus loup des deux occupe quasiment toute sa journée à mettre au point les trente-cinq mètres de la Monnaie de Singe (autant vous dire qu'on est très loin de son homonyme nord vosgien de trois mètres en 7c .). Pierre, après un bon essai flash, craque au deux tiers de la voie (avant le fameux bi arqué en épaule du trentième mètre) et exige qu'on le descende illico, atteint d'un sévère odème des longueurs. Il ne retournera plus jamais griller ses derniers deniers dans la Monnaie. Arno se lance dans une optimisation sans précédent de Petit Tom, optimisation qui recrutera plusieurs assureurs. Puis, il blase le team en disant que, de toute façon, il ne fera pas d'essais dans la voie, mais qu'il prend simplement de l'avance pour l'année prochaine. Pour cette insolence crasse, Arno est interdit d'escalade pour le reste de la journée. Sous les injonctions répétées de Pierre, Flo se lance dans Biographie : quant au commentaire, laissons le au bon mot de notre ami niçois : " c'est le parcours de blocs ". Le soir, on s'offre le premier bon repas de tout le séjour : Crozets de Haute-Savoie et Macédoine de Leclerc, l'assaisonnement étant assurée par la gamelle elle-même vu qu'elle n'a pas été lavée depuis dix jours. Le thé qui en suit, toujours dans cette fameuse gamelle, nous enivre d'une saveur des plus exotiques . C'est donc le nez pincé, la bouche rauque, le gosier piquant et le ventre maladif que le team se remet dans les bras d'Orphée. Pierre, lui, se remet une fois de plus dans les bras de l'orphique Ovidie, son amante magnétique de l'ascenseur.

Mercredi

C'est le dernier jour ! ! ! On se réveille avec un ouf de soulagement car les longs tentacules de la folie commençaient à nous guetter sérieusement. Miraculeusement motivés, Flo et Arno décident de grimper avant quatre heure du soir, et ce à Berlin, secteur qui, je le rappelle, est au soleil jusqu'au soir. Flo, après un échauffement absurde dans Monnaie de Singe, se lance dans LA tentative à vue de l'année. La promise se dénomme Galaxy, autrement dit, le meilleur moyen de se plonger la voie lactique . Le résultat est largement à la hauteur des espérances : il ne réussit pas la voie (ouf, le contraire aurait évidemment suscité les pires moqueries de la part de ses assureurs, déjà abasourdis par telle démarche), il tombe assez haut (rappelons le, but était de se dauber, bien que là, il frôle la syncope) en lâchant des bacs que notre Yann Corby préféré tracterait aisément d'un bras. Ayant (honteusement) gaspillé le capital de lucidité qui lui restait, Flo retire son baudrier sans défaire son noud ; Pierre tire la corde et le baudrier se coince dans l'avant dernier point. L'on-sight climber ne pouvant même plus tenir debout, c'est Pierrot qui se colle la récup' des paires en essayant de s'emmêler le moins possible avec le tricot de corde. Malgré cet échauffement périlleux et insolite, Pierre fait sa meilleure montée du séjour dans Bio. Mais le véritable spectacle de cette soirée encore une fois sibérienne, c'est le belge Nico qui l'assure. Ses chutes dans la dalle sommitale du Cadre, sa tentative de sortir une grenouille monstrueuse après soixante mouvements, nous font jurer de boycotter cette voie pour la vie. Il commence à se faire tard et nous bouclons vite fait mal fait nos bagages pour dire adieu à Céüse, ou plutôt à l'année prochaine car nos têtes sont pleines de projets dans cet endroit magique. De mercredi à jeudi . Avertissement : le récit qui va commencer ici n'aura qu'un lien très infi(r)me avec l'escalade. Ceux donc qui voulaient simplement lire un gentil compte-rendu de trip de varappeurs feront peut-être bien d'arrêter la lecture ici. Cette soirée, nous en parlions depuis longtemps avec nos amis Bruxellois. Il était entendu que tous nous allions nous lâcher après 10 jours à marée basse (car à plus d'une heure de marche, il était difficile de porter plus de deux bouteilles de rouge). Un match franco-belge serait donc à l'affiche ce soir . Notons que nos adversaires bénéficiaient déjà d'un meilleur entraînement car, en dormant au camping, la beuverie allait bon train tous les soirs ; la meilleure preuve étant les cadavres de cubiques de vin de table qui entouraient leurs tentes. Et les fourbes avaient calculé que cette soirée du mercredi soir tomberait pile poil sur une surcompensation brassicolo-vinicole (car ils connaissent à la lettre la bible Meyerienne de la réhydratation). Assurément ce soir, les gosiers seront durs à rassasier, et les toilettes dures à nettoyer. Les données du match sont : trois belges contre trois français, et la ravissante Mary, arbitre américaine venue pour l'occasion. Après concertation, les joueurs optent pour un échauffement asiatique dans un des rares restos chinois de Gap. Pierre et Arno, prudents, commencent par une 1664 afin d'avancer le plus longtemps possible en terrain connu. Le reste des concurrents se jette pieds et mains liées, mais la bouche bien déliée, dans une dégustation de Tsing Tao, la cultissime bière Pékinoise (bouteilles plus grandes et un peu plus alcoolisée). Le repas, plutôt léger, histoire de ne pas s'encombrer inutilement, sera agrémenté de plusieurs bouteilles de rouge issues des délicieux Coteaux d'Aix-en-Provence. L'échauffement se termine avec cinq tournées généreusement offertes par la maison. L'alcool chinois est servi dans de petits santons délicieusement décorés de figures dénudées : ça sent déjà bon la transgression . Mais après ces tournées de saké, Pierre est déjà au grand taquet. Fort de cette déconvenue, Florent, l'entraîneur du Pôle Alsace Espoirs, décide de ne faire aucun temps morts. Le match se poursuit donc illico dans un Irish Pub, histoire d'épuiser d'autres filières. Les grandes stratégies se mettent en place. Globalement, les équipes se divisent en deux : les attaquants au Pastis (Pierre et Mary, dont la résistance dans cette filière n'est plus à prouver), les défenseurs à la Bière. Dès les premiers verres de Grimbergen, une protestation est déposée par le team Bruxelles (Michael et Manu) : les verres sont trop petits, et donc ces descentes trop fragmentées risquent de casser la continuité de l'effort. Intraitables, les buveurs de Jupiler sont de vrais professionnels, ce qui se confirme quand ils nous révèlent leurs salles d'entraînement : " le Bar aux 1000 bières ". Le reste de la première manche se fera à coup de demi-litre. Là, la comptabilité commence à être difficile, entre les tournées maison (nos sponsors Irlandais et Chinois auront été généreux ce soir-là) et les commandes officielles, la partie bat son plein. Premier incident : la disparition d'Arno, attaquant pourtant au firmament de sa forme. Après vingt minutes à essayer de pousser et de tirer la porte des toilettes, il crie au secours. Le manager Bollinger lui révèle une technique de vieux loup : il s'agit d'une porte coulissante, sûrement un piège tendu par nos adversaires. Qu'importe, il est libéré et le team France est de nouveau au grand complet. Il se fait tard et notre stade irlandais va fermer. En tout cas, les deux équipes se révèlent tout aussi efficaces dans la fermeture des bras que dans celle des bars ! Une fois dehors : un constat crève les yeux, pas d'autres stades ouverts et, pourtant il fait toujours soif, même si, tout doucement, la marée monte . Florent improvise donc un concours d'apnée dans la fontaine de la place centrale de Gap. Après le grand rouge dans la bouteille, c'est le grand bleu dans la fontaine ! Jacques Mayol a tôt fait de remplacer Güllich au rang des vénérations aveugles. On frôle la noyade à maintes reprises. Pour se réchauffer, la partie se poursuit à coup de pas de bloc sur les façades et vitrines. Certains commencent à exposer sérieusement la viande, on décide donc de se rabattre la danse. À ce jeu, c'est Mary qui s'impose comme la meilleure valseuse. Sans doute assommé par tant de danse, Flo a un gros coup de fatigue et s'affale sur le bitume, assez vite rejoint par Nico. Arno et Pierre font les sherpas pour nous tirer jusqu'au van. Arrivé au parking, c'est la grande embrassade pour se saluer, et bien sûr établir la date du match retour. Alors que Nico, le conducteur présumé, s'affale dans le coffre, les trois Français s'écroulent et dorment à même le macadam. Arno, avant le sommeil, prend l'option d'un nettoyage intestinal en profondeur. Jeudi Réveil insolite par trois policiers, pourtant sympathiques (et cela me coûte de le reconnaître) qui nous prient de déguerpir. En effet, autour de nous, une ribambelle de collégiens nous regarde, visiblement interloquée. On a dormi toute la nuit devant le portail du collège, il se souviendront de la rentrée des classes. On remballe en ayant l'air aussi clair que possible (les matons sont devant nous, il ne faut pas rigoler) et on se dirige péniblement vers le PMU le plus proche où le serveur capte assez vite l'ampleur de la débauche de la veille. Le train arrive. Dans le wagon, étonnement personne ne s'installe à côté de nous. Serait-ce parce qu'on ressemble à trois clochards avec nos barbes de dix jours, nos lèvres aussi crevassées que la mer de glace, nos nez vinassées, nos vêtements réduits à l'état de bouts de tissu entre les trous, et notre odeur tenace de brebis ? La fatigue nous empêche de nous pencher plus longtemps sur la question. Puisse notre lourd sommeil ne pas effacer tous ses supers moments qui ne sont déjà plus que de lointains souvenirs.

Épilogue

Mardi 11 septembre au matin, parking du Kronthal Flo et Julien rencontrent par hasard notre fameux couple belge, Nico et Mary, qui viennent de se faire ouvrir leur van par des malotrus (le parkplatz du Kron' ressemble de plus en plus à un malfamé d'un parking des Calanques). En plus des serrures défoncées, les portières de leur véhicule sont tapissées d'un liquide quelque peu organique, pour ne pas dire bilié, et dont l'odeur nous rappelle bizarrement les vapeurs de cette fameuse soirée. Le retour à Sigoyer fut également épique de leur côté : une roue et un doigt cassé (quel rapport ? vous demandez-vous. Toujours cette affaire de crics ..). Mais cette soirée ne découragea pas notre Freyrien qui vint à bout du Cadre (8c) deux jours après : une fois de plus la surhydratation a fait preuve de ses miracles. Quant au résultat de la confrontation, le nul est voté à l'unanimité. Les deux équipes s'entraînent d'ores et déjà pour le match retour qui s'annonce des plus disputés. se dirige péniblement vers le PMU le plus proche où le serveur capte assez vite l'ampleur de la débauche de la veille. Le train arrive. Dans le wagon, étonnement personne ne s'installe à côté de nous. Serait-ce parce qu'on ressemble à trois clochards avec nos barbes de dix jours, nos lèvres aussi crevassées que la mer de glace, nos nez vinassées, nos vêtements réduits à l'état de bouts de tissu entre les trous, et notre odeur tenace de brebis ? La fatigue nous empêche de nous pencher plus longtemps sur la question. Puisse notre lourd sommeil ne pas effacer tous ses supers moments qui ne sont déjà plus que de lointains souvenirs.

Épilogue :

Mardi 11 septembre au matin, parking du Kronthal Flo et le Nigot rencontrent par hasard notre fameux couple belge, Nico et Mary, qui viennent de se faire ouvrir leur van par des malotrus (le parkplatz du Kron' ressemble de plus en plus au plus malfamé d'un parking des Calanques). Les portières de leur véhicule sont tapissées d'un liquide quelque peu organique, pour ne pas dire bilié, et dont l'odeur nous rappelle bizarrement les vapeurs de cette fameuse soirée. Le retour à Sigoyer fut également épique de leur côté : une roue et un doigt cassé (quel rapport ? vous demandez-vous. Toujours cette affaire de crics ..). Mais cette soirée ne découragea pas notre Freyrien qui vint à bout du Cadre deux jours après : une fois de plus la surhydratation a fait preuve de ses miracles. Quant au résultat de la confrontation, le nul est voté à l'unanimité. Les deux équipes s'entraînent d'ores et déjà pour le match retour qui s'annonce des plus disputés.

Cotations des voies citées dans l'article :

 

© 2000-2001, U-Climb.com, | reproduction interdite | Mentions légales| contact Webmaster