Epopée alsacienne en Slovénie

Textes : Nicolas Meyer et Florent Wolff / Photos : Yann Corby

C'est peut-être le nombre restreint de falaises locales qui explique le paradoxe des grimpeurs alsaciens : ils sont aussi motivés pour travailler une voie des années, que pour faire des centaines de kilomètres pour trouver du nouveau rocher.

Cette fois-ci, c'est sur le calcaire slovène que la dream-team zal' a jeté son dévolu : en voiture, direction Osp ! Dés le départ, le ton est donné, en allant chercher Pierre, Yann improvise sur le parking une séance de pompes à un bras avant de faire quelques jonglages avec son fameux ballon de foot dont il ne se sépare jamais en déplacement. Le trajet s'effectue sans encombre et, malgré les intempéries, Yann " Magic Driver " pilote le transit de main de maître : en pleine nuit, il conduit toute l'équipe à bon port, le camping d'Osp. Nous montons les tentes sous la pluie et nous nous endormons partagés entre la crainte de ne pouvoir grimper le lendemain, et l'excitation, bien naturelle, de découvrir une nouvelle falaise.

Au réveil, le temps est gris et c'est anxieux que nous pataugeons dans la boue pour monter à la falaise ; le rocher est-il trempé ? Quelques instants plus tard, toute l 'équipe essouflée pousse un ouf de soulagement, :la falaise est nettement déversante, et seules quelques voies sont impraticables pour cause de résurgences. À l'attaque ! Pierrot repère " Eagles ", un 8b à la difficulté très concentrée qu'il fera au premier essai. Premières frayeurs pour Isa qui, soit-disant séchée par le meilleur assureur Strasbourgeois, finira à l'hôpital de Koper pour quelques points de suture ; que ne ferait-elle pas pour se faire remarquer ! Surmotivée, son gigantesque pansement ne l'empêchera pas d'enchaîner " Oro Puro ", le superbe 7c cause de tous ses déboires. Florent et Nicolas, bien décidés à remplir leurs carnets, font quelques belles croix dans le septième degré (" Teta Liza " 7a, " Ponarejena zelva " 7b, " Oro Puro "). Yann, de son oil expert, a repéré la voie la plus courte de la falaise, " Sistolicni Vrt " 7b+, et lui règle son compte en moins de temps qu'il ne faut pour prononcer le nom de celle-ci. Le verdict tombe, sans appel, malgré les protestations chagrines d'Isa : la couenne ne serait qu'un petit 6c au Waldeck.

Le seul à ne pas trouver son bonheur est peut-être Bruno car, il faut bien l'avouer, la falaise phare d'Osp, Misja Pec, n'est intéressante que pour les grimpeurs à l'aise dans le septième degré (et plus). Les voies faciles y sont rares et, bien évidemment, un peu patinées. Ceci étant dit, c'est bien le seul inconvénient de cette falaise, apte à satisfaire les envies les plus variées. Le centre de la falaise, haut de plus de cinquante mètres, propose des voies de continuité déversantes, sur colonnettes et surtout sur réglettes, plus tentantes les unes que les autres. Les aficionados du à-vue se régaleront ! mais que ceux qui daubent après quelques mètres ne s'inquiètent pas : les deux côtés de la falaise recèlent de voies plus courtes et, avantage important, à l'ombre une bonne partie de la journée. C'est d'ailleurs dans cette petite grotte sur la gauche de la paroi que se trouvent les voies les plus dures : " Talk is cheap " 8c, " Za staro kolo in majhnega psa " 8c+, " Sanjski par " 8c, que Tadej Slabe a ouvert en 1992. Il continue d'ailleurs de fréquenter régulièrement la falaise, et excelle dans l'art, pourtant bien délicat, d'installer des balançoires pour sa fille, dans les arbres au pied de la falaise. Après deux jours de repérage sous la pluie, le climat méditerranéen reprend le dessus : les choses sérieuses peuvent commencer. Pierre essaie " Talk is cheap ", Isa s'attaque à " Samsara ", un 8a+ dans le grand mur, Yann et Florent à " Truplojedka ", un 8a+ bien différent de celui d'Isa puisqu'il ne fait que 7 mètres ! Nicolas, avec la mauvaise foie dont il est coutumier, clame haut et fort qu'il ne peut grimper correctement que sur son grés natal, moussu et sableux à souhait, et refuse systématiquement d'essayer les voies qu'on lui propose. Tant pis pour lui ! Bruno décide de tester les prises dans " 9a ", un 6c de continuité. Le test s'avère concluant : la strate de sortie lâche tout entière et une fois de plus, Nico, rompu à ce genre de situation, lui sauve la vie en le dynamisant magistralement.

Cependant, ce n'est pas que sur le rocher que la mousse commence à manquer, mais aussi dans les gosiers Il est temps de s'approvisionner en " Zlatorog Club ", la bière locale que l'on trouve en quantité tout juste suffisante à la station-service située à un ilomètre du camping : la vie est parfois bien faîte ! Il faut d'ailleurs noter que, si pour l'instant, les Haut-Rhinois font la course en tête en ce qui concerne les escalades à la falaise, les Bas-Rhinois l'emportent haut la main en matière de descente de canettes au camping. Ces deux choses seraient-elles liées ? ? Mais, c'est bien connu, les voyages forment la jeunesse, et, peu à peu, Isa et Pierre font des progrès notables en continuité, filière 50 centilitres. Après avoir travaillé tous les pas, Isa enchaînera, au taquet il est vrai, son premier litre de Zlatorog Club pour fêter sa réussite à la fois dans Samsara et l'anniversaire de Nico. Complètement bour. pardon daubée, elle finira la soirée en poursuivant les canards du camping. Bien joué Isa ! ! ! Quant à Pierre, il flashera fort honorablement un litre et demi, après que Nico et Florent lui aient révélé des méthodes " petits oignons " pour accroître sa résistance.

C'est gonflé à bloc (.) que le team monte à la falaise tous les matins, invariablement à neuf heures pour que les carnets se remplissent. Nico s'offre " Ribalton " et " Hugolina " deux 7b, Yann, après avoir randonné au premier essai " Peskovnik ", un 7c de neuf mètres, dicte brillament les méthodes à Florent qui le flashe, tout comme Tortuga, un 7b de grande beauté. Enfin, après leurs réussites dans Samsara, les cris d'Isa, qui nous rappellent ceux de Monica Sellès dans les matchs difficiles, portent à nouveau leurs fruits puisqu'elle sort à vue la première longueur de " Sreca Vrtnice " 7a+. Les grands projets connaîtront par contre des fortunes diverses. Pierre éprouve des difficultés à concilier essais dans les voies dures et bronzage de haut niveau. Tiraillé entre le désir de faire une grosse perf et l'envie de lézarder sur des voies au soleil, il finira par arrêter les tentatives dans " Talk is cheap ". Il était pourtant loin d'être ridicule (un seul repos dans la voie) et disposait d'un staff entièrement à sa dévotion : Yann, prêt à l'assurer n'importe quand, Nico, à lui envoyer une brosse plus vite que Chronopost, Florent, à lui remplir son sac à pof au pied levé, et Isa à le ravitailler en Ovomaltine en cas de fringale. " Truplojedka ", le 8a+ de Yann et Florent, finira par user ses prétendants, lassés de lacer leurs chaussons vingt fois par jour pour tomber dans le crux à deux mètres du sol, à l'exception d'un essai mémorable où Florent tombera le nez quasiment devant le relais, à la limite de l'évanouissement, sans avoir pu mousquetonner aucun point. Nico, expert renommé du sautage de clou et donc rompu à ce genre de situation, lui évite une chute fatale en le séchant magistralement. Il est temps de mettre du sang neuf dans l'équipe.

Ce sont des jokers de luxe que s'offrent cette dernière avec la venue de Jean-Minh, Loïc et Olivier, ce dernier étant recruté dans la sélection régionale de Franche-Comté. Leur arrivée nous ragaillardit, car à six, nous avions du mal à tenir longtemps lors des matchs de foot au camping. Notons d'ailleurs que Jean-Minh se sera fait attendre : deux jours à se ronger les ongles à la frontière de Trieste avant qu'on ne lui envoie son passeport qu'il avait oublié à la maison. Pas fort pour ce globe-trotter de renom. Les allers-retours que ses compères devront effectuer pour le chercher décupleront leur motivation. À peine arrivé, après trois heures de sommeil, Loïc s'offre " Truplojedka ", " Corto " 8a, et flashe Samsara, tandis qu'Olivier répète avec aisance le petit toit en 7b+ (Sistolicni Vrt ) si cher au cour de Yann. Ce même Yann réalise des prouesses lors des entraînements nocturnes sous la grange du camping : il mystifie l'assistance en réalisant son célébrissime " stat'bi doigts ", une traction d'un bras sur bi-doigts sans aucun à-coup, et tient la planche " si longtemps qu'on peut boire à la paille une bière posée sur ses pieds ". Il gagne par ailleurs tous les bras de fer et établit des recors en traction d'un bras, mais surtout en " clac'pec' ", des pompes à un bras claqué, qui ne sont homologuées que si l'on entend très clairement les claquements de la paume contre les pectoraux. Résultat de ces jeux stupides, il est daubé de chez daubé le lendemain matin ! Pendant que les derniers venus assouvissent leur frénésie d'escalade à Misja Pec, les premiers arrivés s'en vont à la découverte d'autres falaises.

En premier lieu, la falaise d'Osp proprement dite qui, outre les voies dures assez classiques en dévers sur colonnettes, offre aux grimpeurs rebutés par les voies extrêmes, de belles dalles bien équipées. Ce site est tout à fait complémentaire de Misja Pc et permet d'envisager un séjour en Slovénie pour un groupe de grimpeurs de niveau hétérogène. La falaise d'Osp propose aussi des voies de plusieurs longueurs (150 mètres) que Florent et Olivier sont allés tester pour vous. À la montée, pas de problèmes pour ces grimpeurs émérites mis à part un taquet épineux dans les broussailles de sortie. La descente s'avère par contre être une autre paire de manche. Florent, qui le matin dédaignait les conseils de Nico, rompu à ce genre de situations, s'était finalement muni d'une précieuse cordelette. Bien lui en prit car il se retrouva pendu en bout de corde, à la hauteur du relais mais sans pouvoir l'atteindre car la paroi n'est pas des moins déversantes. Après de nombreuses et risibles gesticulations visibles depuis la place du village, quelques centaines de mètres plus bas, il se lance dans une remontée sur machard des trente mètres de rappel ! Daubé comme jamais durant le séjour, il ne s'en remettra pas et lâchera, essoufflé, ce commentaire éloquent : " Grandes voies, toujours synonymes de grandes galères ! ".

Pour se remettre de leurs émotions, nos deux compères passeront le reste de l'après-midi à conter leur épopée aux autres grimpeurs, venus des quatre coins de l'Europe. Car, s'il est bien un village qui vit au rythme de la varappe, c'est bien Osp, le La Palud slovène. Les grimpeurs se sentent chez eux au camping dont la grange recèle encore d'un grand potentiel de blocs sur briquettes coupantes. C'est dans cette même grange que tous les soirs où presque, les grimpeurs se réunissent et échangent leurs impressions, quelques fois déformées, au vue des quantités déraisonnables du petit Vino slovène consommé la veille. Bah. L'approvisionnement était aisé puisqu'il était produit sur les terres du camping. C'est pourquoi certains réveils difficiles incitent l'équipe à visiter la falaise de Krin Kal, bien plus accueillantes pour les muscles courbaturés par les efforts consentis dans les dévers de Misja Pec. Ici, rien de tel, plusieurs petites faces à peine verticales proposent des itinéraires dans le cinquième et le sixième degré ; ce qui a permis à Pierre de s'offrir son premier 6a flash du séjour après que l'ours Bruno lui ait fort gentiment monté les paires et expliqué ses méthodes, démoniaques au vue de son allonge de gibon. Étonnement, cette réalisation ne suffira pas à combler les aspirations du jeune loup colmarien. Aussi, dès le retour du camping, ses doigts le démangent. Pour assouvir cette pulsion (inattendue de sa part), il ne voit qu'une solution : la camionnette sur laquelle il ouvre de nombreux passages jusqu'à 7a+ (topo détaillé disponible chez votre concessionnaire Ford le plus proche). S'esquinter les doigts sur de la tôle vous semble être une hérésie absolue au vue de la quantité de rocher environnante. Pour notre défense, certains jours d'affluence (le week-end, en particulier), il faut faire la queue dans les classiques de Misja Pec et supporter les hurlements de certains après des chutes incessantes en moulinette dans leur projet. Certaines fois, il était bien difficile de distinguer les cris des aboiements du chien du camping qui lorgnait très certainement sur les biscuits bio, véritable apanage des varappeurs modernes.

Vous l'aurez compris, les boules Quiès sont nécessaires si vous voulez faire des croix, au moins autant que la brosse à dents, indispensable en raison de la couche de magnésie qui recouvre les voies fréquentées. Celles-ci ne sont nettoyées ni par la pluie (dévers oblige) et les grimpeurs sont souvent trop paresseux de les nettoyer à la descente (dévers et balant obligent). On aura passé quasiment plus de temps à se dauber pour nettoyer nos projets qu'à les essayer réellement. Contrairement aux habitudes, nous fûmes fiers de ne laisser aucune trace de passage dans les voies ! Mais c'est bien parce que les défauts de Misja Pec, falaise d'exception, sont rares que nous nous attardons sur cette futilité, en bons maniaques de l'hygiène des voies que nous sommes. Nous avons bien écrit " propreté des voies " et non pas celles des grimpeurs. En effet, le célèbre précepte de Nico " Les chaussons, ce n'est pas comme les pieds, ils doivent être propres pour bien grimper ", a été largement appliqué ce séjour. Exception d'Isa, doucheuse de l'extrême qui prétend perfidement que Florent et Nico utilisent plus souvent leurs brosses à dents en falaise que devant un lavabo. C'est donc sales et heureux, mais heureux et comblés, que le gros de la troupe rentre au bercail, tandis que Jean-Minh, Loïc et Olivier s'offrent encore quelques beaux à vue (Urbanova 8a pour Jean-Minh et flashé par loïc).

Pratique Formalités :

pour pénétrer sur le territoire slovène, vous devez obligatoirement vous munir de votre passeport.

Accès : le village d'Osp se trouve près de la frontière italienne, en face de Trieste. Il s'agit donc de descendre à Venise pour continuer ou, selon votre point de départ, de descendre depuis l'Autriche. Le village d'Osp est bien indiqué, quant aux falaises, elles sont visibles depuis le camping. Facile.

Hébergement : vous l'avez peut-être supputé, il s'agit de camping, soit à Kozina ou au bord de mer vers Izola, soit à Osp directement, puisque le proprio est très branché grimpe. En prime, il parle Italien et Allemand. Le camping se situe dans le village et offre une vue imprenable sur les différents secteurs. Un espace couvert et éclairé est proposé aux différents utilisateurs. Comptez 10 DM (35 F) par nuit et par personne.

Nourriture : tous les commerces se trouvent à Kozina ou Koper ou, plus près, une station-service (sur la route de l'Italie) fait office de supérette. On y trouve tous les produits de première nécessité et on peut même changer de l'argent. Un bus-épicier passe aussi régulièrement au village. La spécialité locale s'appelle le Vino, pas besoin de traduire. En vente partout, c'est une piquette. Soins : le premier hôpital se trouve à Izola, à l'ouest d'Osp.

Topo : à notre connaissance, il n'existe pas de topo ne traitant que des falaises d'Osp. Le topo, en vente au camping, couvre près de quarante sites répartis sur toute la Slovénie (une nouvelle édition a du sortir récemment). Les différents secteurs Les secteurs A-B-C-D (de gauche à droite depuis le camping) sont accessibles à pied depuis le camping d'osp. Pour la falaise de Crni Kal, comptez cinq minutes de voiture.

Florent Wolff - U-Climb.com

 

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