Grimper n°51

Le Billet de Florent Wolff

Après la longue trêve hivernale (quasiment 4 mois, pour un mag' de 80 pages, pubs comprises, ça peut sembler beaucoup), on retrouve le Grimper du mois de Février. Sa couverture change radicalement du numéro précédent, le vert azur a supplanté la glace bleutée.

Je ne fus d'ailleurs pas le seul à avoir des réserves sur la tonne de glace qu'on trouvait dans le n°50, il suffit de lire le courrier des lecteurs pour constater qu'ils attendent avant tout du rocher. C'est ce que semble avoir compris Grimper qui ne nous propose plus rien en rapport avec la discipline gelée, si ce n'est la très juste mise en garde de Fred Noé contre le Dry-Tooling, et les dommages qu'il engendre sur des sites d'escalade (voir " Reblochon News "). Changement d'orientation radical ou simple adaptation aux conditions météorologiques ? Et nous de cerner la capacité qu'un média a de nous dévoiler à grand fracas une activité " phénomène ", puis de la replonger dans l'ombre aussi immédiatement qu'elle en fut sortie. Toujours est-il que la glace n'est plus qu'un mauvais souvenir et l'on peut répondre aux inquiétudes d'Yves (auteur de la missive p 14) : il existe à nouveau un magazine spécialisé d'escalade en France.

L'édito de Laurent Belluard vante les mérites de la performance de François Legrand, soit une prolongation d'un 8b des Goudes, " avec une section un peu bidouillée " pour un total de 40 mètres en 8c+/9a (la cotation à la mode en ce moment). Si l'on peut applaudir l'effort nécessaire pour gravir une telle voie, affirmer qu' " elle ne ressemble pas à l'archétype des lignes extrêmes françaises " surprend un tant soit peu puisqu'elle en réunit au contraire toutes les caractéristiques : grosse résistance, un peu de bidouille, prolongation d'une voie déjà existante (en gros les attributs des voies de l'arrière-pays niçois).

La rubrique In Vivo est assez étoffée et clairement orientée perfs en bloc (ce qui est normal au vue de la saison). Les internautes assidues que nous sommes ne feront hélas souvent que relire des actus, photos en sus, qu'ils avaient déjà découvert sur le web (u-climb, 8a.nu, .). Il est certain que les news de la presse écrite vont dorénavant manquer d'un peu de fraîcheur face à la multiplication de portails d'escalade et de leurs news mis à jour quotidiennement. Cela ne préfigure t-il pas une orientation moins " actus " et plus " sujets de fond " de la presse sportive spécialisée à parution mensuelle ?

Puis, on ne peut que se réjouir de la lettre de notre ami lorrain qui demande d'avantage de chroniques locales, dont la fameuse " Dernières Nouvelles d'Alsace ", pourtant si souvent décriée, pour cause de " performances pas toujours au niveau " (Laurent Belluard). Vient le trip de bloc, référence actuelle en matière de journalisme de varappe, sous la plume de Vincent Albrand, dont on ne se lasse pas. On se dit tout de même que la magnificence de la Corse aurait pu engendrer des photos de meilleure qualité (à l'exception de la double photo d'ouverture, malgré son côté pub Renault, et de celle de la page 19). On applaudira la précision du topo de ce chaos de blocs.

Pour la rubrique des compétiteurs, pardon des compétitions, RAS sinon qu'elle est plus courte que celle du n°50, ce dont évidemment on se réjouit. On notera une petite phrase qui ferait sourire un Roland Barthes : " la réussite de la voie de super finale de Nantes [.] l'a définitivement intronisé [Liv Sansoz] au rang de mythe du milieu grimpesque ". Ah, la, la, les valeurs de la construction du mythe moderne deviennent pour le moins alambiquées.

Arrive l'article sur Madagascar par Michel Piola, grande figure du découvreur moderne qui fête ses milles ouvertures sur l'île. Exotisme et dépaysement assurés, ainsi qu'une partie pratique bien fournie, histoire que le rêve se concrétise. On se régalera du retour du portfolio, de plus en plus orienté bloc, forcément. Et l'on s'étonnera de la motivation à toute épreuve des varappeurs polonais, capables de se déchaîner dans des pseudos bunkers, passablement glauques (p59). C'est toujours de l'Est qu'il s'agit avec l'article de David Chambre, qui commençait à nous manquer. Indéniablement, le meilleur article de ce numéro. Avec Bernd Arnold, on a à faire un vrai mythe, pas celui des super finales de gymnase. Outre l'historique de ce lieu aussi insolite qu'austère, David Chambre dégage une problématique captivante, celle des rapports entre un régime totalitaire et une discipline sportive qui le fut tout autant. Et surtout de voir que la chute des dictatures communistes n'a pas entraîné de libéralisation des règles dans la pratique de la grimpe. Soit l'escalade s'obnubile à perpétuer de règles rigides, soit elle dévoile son détachement absolu face aux contingences politico-économiques, assurément un sujet à creuser. Je ne dirai plus grand chose du reste du mag' puisqu'en plus d'un test de prises, on retrouve les rubriques actuelles (Méthod, Manip, Kiné, Vitrines, .), pas toujours très excitantes mais quelques fois utiles.

Grimper n°51 marque un contenu nettement différent de celui du précédent numéro (plus de glace, moins de compètes, retour du portfolio et d'un texte de David Chambre) mais, on regrette toujours le peu de place accordée aux grimpeurs proprement dits (pas d'interviews, seulement des micros portraits de compétiteurs). Sa lecture (rapide) procure des moments d'intérêts, et n'est que rarement irritante. Du coup, on se réjouit tout de même du rythme mensuel que retrouve la publication avec les beaux jours.

Florent Wolff - U-Climb.com

 

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